Caisse à chats ou caisse achats ?
- Sophie Royer
- 29 nov. 2022
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 11 mai 2023
C’est aujourd’hui le jour des courses, et voici qu’à la caisse, devant moi, se trame un lourd débat. Un homme s’adresse à l’hôtesse. Dents serrées, poings fermés, lèvres pincées. Il ne contient plus sa rage. Son corps tout entier exsude l’outrage. Tel un loup prêt à bondir sur sa proie, il postillonne son âpre colère sur le visage angélique de la jeune stagiaire.
— Mais puisque je vous dis que ce sac de litière, sur l’étagère posé, était à prix soldé !! Comment osez-vous douter de mon honnêteté ? dit le petit homme blafard à la caissière rougissante du Monoprix. Entendez-moi, madame ! Sur l’étiquette bleue et jaune mes yeux se sont posés, car le chiffre indiqué m’a fortement marqué ! Les moins 50 % sur les copeaux de bois de cette litière m’ont transporté de joie !Doutez-vous un instant de ma si bonne foi ? Moins 50 % vous dis-je ! Imaginez donc un peu la grandiose nouvelle. L’assurance que mes chats soient au mieux soulagés, et que mon porte-feuille n’en soit pas altérer ! Allons madame, ayez bonne conscience ! Cessez de jouer le jeu de votre impertinence !
— Mais puisque je vous dis, monsieur, que mon ordinateur refuse expressément la réduction dont vous parlez ! A votre tour, croyez-moi, je vous prie. Qu’aurais-je à y gagner ? Pourquoi vous mentirais-je ainsi ? Pensez-vous que je convoite cet achat ? Que je collectionne les sacs de litières ? Que c’est pour le garder en mon giron et le récupérer ce soir que je fabule ici, toute fière, cette histoire ?
Puis elle rit, désabusée, nous regardant derrière, nous qui attendons patiemment que se règle l’affaire…
— Mais parbleu ! Vous vous gaussez ? Votre joli minois n’excuse en rien votre désinvolture face à la clientèle ! Nous sommes ici les rois, c’est ce que dit l’adage ! Mais peut-être que le petit pois dû à votre jeune âge…
— Monsieur, voyons ! Vers quoi vous nous menez ? Je ne suis en rien responsable. Il est question ici d’une étiquette qui n’a jamais existé. Vous vous égarez…
— Oh ?! Mais vous n’avez pas compris l’injure ? Le petit pois ? Celui qu’abrite votre cerveau ! Celui qui laisse toute la place au vide de votre esprit. O quelle pitoyable fable ! Votre agréable visage cache un trou béant de bêtise ! Vous êtes en CDD, j’imagine ? Vos employeurs peuvent vous remercier sans la moindre indemnité ? Tant mieux ! Vous n’avez pas le Q.I pour faire ce métier. Il fallait davantage à l’école primaire travailler !
— Monsieur ! Ménagez votre courroux ! Calmez-vous, je vous prie ! De si fâcheuses remarques je ne puis consentir à recevoir de vous. Ce n’est pas de ma faute si votre piètre vie se résume à faire pisser deux chats dans une boite en plastique. Trouvez un autre coupable Regardez donc autour de vous !! Vous bavez d’aigreur devant belle assemblée !!
A cet instant, tous deux font silence et dévisagent la clientèle. Un ange passe au- dessus du rayon Boucherie. Dans la file d’attente, nous retenons notre souffle. Vont-ils se voler dans les plumes ? Le sang va-t-il couler ? Non. Rien de cela. Il a coagulé…
Le petit homme lève les mains et balaie l’air devant son nez.
— Il suffit ! Mon temps de vie est précieux pour les belles choses, pas pour les gueuses imbéciles de votre genre. J’ai perdu déjà bien trop de secondes à bavasser sur l’erreur commerciale de votre enseigne nauséabonde. Faites-moi venir le patron ou j’explose votre caisse électronique à coups de pieds dynamiques !
— Vous divaguez ? dit la jeune fille. Vos neurones sont collés ? Pauvre sire ! Mon patron n’est pas ici. Il est sorti. Son épouse a vomi. Laissez-lui donc un pli. Écrivez. Et dès demain vous pourrez vous entretenir avec lui. Oh… Tiens. Dommage… je n’ai pas de stylo à vous prêter pour coucher cette requête sur papier… Vous n’avez qu’à utiliser votre sang, pauvre martyre du Monoprix !
A ces mots, l’homme rugit de colère. Devient subitement fou. Grimpe sur le tapis roulant. Le piétine avec frénésie. Hurle qu’il va trucider la caissière. Lui tordre le cou. Lui rompre les artères. Tel un ivrogne consanguin qui aurait été fouetté injustement jusqu’au petit matin, il se rue sur la fille dans un élan de rage. Lui attrape la crinière avec fougue et lui maintient la joue sur le tapis roulant. Et moi, qui suis dans la file d’attente, je pense : Dieu sait que cela doit faire mal une joue sur un tapis roulant, car cela ne glisse pas, au contraire ça adhère…
— Maudite bougresse à la langue bien pendue, je vais détruire ta vie de tapeuse à calculette, de compteuse à étiquettes, de scanneuse à barquettes !!!
Puis, de sa main libre, d’un geste altier de fort belle envergure (très certainement cet homme était danseur…), il empoigne le sac de copeaux, le déchire avec ses dents et déverse l’intégralité de la litière sur le crâne tout entier de l’incrédule caissière.
Et nous autres, clients hébétés par le drame ici joué, restons de marbre face à la dérangeante atrocité de cette scène immorale et cruelle.
Que n’ai-je fait de choisir la caisse trois… si j’étais passé à la quatre, déjà, je serais rentré chez moi.
Leblogasof-Novembre 2022

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