L'adieu à la jupe
- Sophie Royer
- 1 nov. 2022
- 2 min de lecture
La chaleur étouffante de l’été imprègne les murs du vieux bistrot.
Au fond, à l’ombre, loin de la vitrine bouillante, Édouard attend.
Les traits de son visage sont tendus.
Quand il est nerveux, sa jambe tremble d’impatience.
J’imagine qu’en cet instant, elle doit sautiller sous la table.
La femme pousse la porte et se dirige vers lui. Il se lève. Lui sourit. Mal à l’aise. Puis se rassoit. Malgré les 38 degrés, elle commande un café.
Les gens qui commandent des cafés n’ont pas la tête à s’attarder.
Les voilà, assis, face à face.
La femme se dandine. Drôle de danse. Sa jupe doit coller à ses cuisses.
Édouard la fixe. Échange de regards.
Silence glacial dans la moiteur de juillet. La femme baisse la tête.
Le serveur lui apporte son expresso. Raclement de gorge. Le nez dans son sac à main, elle cherche son porte-monnaie.
Édouard ne la lâche pas des yeux. Il m’a tant parlé d’elle.
De ses longs cils bruns. De sa bouche aux lèvres charnues. De sa peau mate.
C’est vrai qu’elle est jolie.
Et la jambe d’Édouard qui gigote nerveusement sous la table.
Le serveur attend.
La femme trouve son porte-monnaie.
Elle tend un billet au serveur.
Il lui rend trois pièces, puis s’éloigne.
Le couple se retrouve seul.
La femme pose enfin les yeux sur Édouard, et commence à parler.
Je n’entends pas ses mots, mais devine que ce n’est pas bon.
J’inspire profondément.
L’air brûlant me crame les poumons.
Je déteste cette sensation.
Et puis d’un coup, Édouard hausse le ton. Fait non de la tête.
Appose ses mains sur son front. Se tortille sur sa chaise.
Il lui attrape la main avec force, mais elle la retire d’un coup sec.
Il la supplie. Elle quitte sa chaise.
Il la menace. Elle lui sourit.
Et c’est ainsi. C’est terminé.
La jupe collante quitte le troquet.
Le tissu léger emporte avec lui, tous les espoirs d’Édouard.
Debout, impuissant, il reste pétrifié, hébété, en suspens dans l’air caniculaire.
Et moi, je suis là, à le regarder, derrière mon comptoir.
Voyeur malgré moi.
Moi,
l’essuyeur de verres.
le lustreur de zinc.
le remplisseur de ramequins à cacahuètes.
le trieur de sous-bock.
Témoin bref et inquiet, de la détresse de mon frère.
Leblogasof-Septembre 2022

Commentaires