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La gifle

  • Photo du rédacteur: Sophie Royer
    Sophie Royer
  • 29 nov. 2022
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 7 juil. 2023

Moment de grâce intense où tout mon être exulte à l’idée de te passer le savon de ta vie. J’imagine déjà ton visage hébété et surpris. Ta décrépitude grandiose face à ta maîtresse et ses amies. Hâte de t’ en mettre une bonne et de te voir, rouge de douleur et de honte, alors que je m’éloigne, lancinante et satisfaite, dans le soleil couchant de cette fin d’après-midi d’été. Si un dieu existe, là-haut, faites qu’il entende mes prières vengeresses, et que de ma main frappeuse, enfin, mon honneur soit sauvé.


En entrant dans le bar, je t’aperçois au fond, te pavanant comme un vieux paon coloré du zoo de La Flèche, récitant les mêmes anecdotes desséchées par les ans. Triste Don Juan. Ton sort est scellé. Je vais te pourrir. Et avec toi, ta renommée de poète torturé. Tes mots doucereux et mièvres, soufflés dans le cou des femmes, vont mourir dans ta bouche et se fendre sur tes dents. Pathétique pantin grandiloquent. Sais-tu combien j’ai souffert de tes trahisons multiples ? Sale pervers emphatique sentimentalement cyclique. Tu vas payer pour tout ce que tu m’as fait endurer.


La porte du bistrot se referme derrière moi. Ma gorge est sèche, mes mains sont moites, mais ma tête est sur mes épaules. Déjà, mes jambes s’envolent vers toi. Elles ont des ailes mes jambes. Comme autrefois, quand je te rejoignais pour t’aimer toute la nuit. Elles sont légères mes jambes. Tu m’as plombée comme un vulgaire faisan et j’ai perdu des plumes. Mais je trouve encore la force de courir. Misérable goujat.

Je slalome entre les tables, les chaises, les gens, les chiens, les chats, les mouches. J’avance avec aisance. Je suis en transe. Sous mon décolleté, à l’intérieur de ma cage thoracique, mon cœur est dingue. Il frôle l’hystérie, la jubilation. Il roule dans ma poitrine. Excité. Déterminé. Il est léger. Délesté de toi. Libre. Autonome. Il n’a plus besoin de tes baisers. Tu lui as volé bien trop de temps. Hypocrite soupirant.

Tu as osé te vautrer dans la jouissance avec d’autres. Aucun scrupule. Tu manipules. Tombeur de mes deux. Tu n’as rien d’un seigneur. Minable vermisseau. Parasite des sentiments. Certains ont la noblesse d’un chêne, toi, tu n’as que la faiblesse d’un gland.


Je suis bientôt tout près de toi. Il fait chaud. Et l’odeur de la bière s’accorde mal avec ton aftershave. Je le sens d’ici ton après-rasage de chez Lidl. Il m’horripile. Je le déteste. Je l’ai vidé dans les toilettes avant de venir, histoire qu’il retrouve sa véritable utilité : parfumer ma cuvette de WC. Ta blonde et ses amies, tout autour de toi, ricanent en chœur, très certainement, de ton dernier bon mot. Faut dire que tu es sacrément spirituel après deux ou trois Heineken. Elles doivent se reconnaître dans tes propos vulgaires. Est-ce qu’elles comprennent au moins ? Ce que tu déblatères ?

Et puis, là, tout à coup, tes yeux se fixent sur les miens. Voilà, tu me vois. Enfin.

Tu parais étonné. Même pas mal à l’aise. Juste surpris. Ta copine serre les dents et rougit.

Mon souffle se fait court. J’ai la rage au ventre. Envie de pleurer.


Par un heureux hasard, au bout de mon bras gauche, se trouve ma main. A l’extrémité de cette magnifique menotte, cinq doigts longs et fins, et une leste paume. Sur l’un d’entre eux brille un anneau doré. Tu te souviens ? Tu me l’as tendu devant le curé.


Lentement je m’avance et me prépare à exécuter la sentence. Mon bras vengeur se lève sur le côté pour trouver de l’ampleur, suivi de mon coude, tellement heureux de participer à ton humiliation publique. Puis, légère rotation de mon bras et de mon poignet gauche. Enchaînement stratégique. Ouverture collective de mes cinq extrémités articulées. Mouvement léger et déterminé, exécuté avec la grâce magnifique d’une danseuse étoile. Propulsion explosive vers ta face de vieux-beau ! Temps suspendu. Réalité ralentie. Le bruit ambiant du bar est soudain cotonneux et à des kilomètres. Les clients médusés s’arrêtent de consommer. Tous les regards sont fixés sur toi. Quelle chaleur dans ce bar. La moiteur des corps inonde l’atmosphère.


Tes yeux sont exorbités. Je suis en apnée. Stupéfaction. Tu viens de comprendre. Félicitations ! Bouche ouverte. Tu ressembles à un merlan qu’on vient de frire. Il te manque plus que la rondelle de citron. Tiens, ça cri à côté. Main sur la bouche. Mine d’ahurie. C’est ta chérie. Mignonne petite loutre dans les phares de ma bagnole… que j’écraserais volontiers.

Ma main se fracasse sur ton visage. Cinglante. Vivifiante. Elle te réveille. La gifle. La claque. La beigne. Décollement de ta tête sur la droite dans un souffle expédié. Picotements bienfaisants dans ma paume sur ta joue anesthésiée.


Ça y est. Je tourne les talons. Et mon dos te maudit. Pauvre type. Tout le monde te regarde, et certains, même, sourient. Tel un dernier cadeau que je t’offre, voici mon ultime contact charnel. Plus jamais je ne te toucherai. C’est définitif.


J’espère ardemment que la trace de ma main gauche, avec la bague de notre amour, devant toute l’assemblée, juste quelques minutes encore, sur ta joue de salaud, demeurera fixée.


écrit en Juin 2022-@leblogasof




 
 
 

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