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LE TRESOR DE SIPAN

  • Photo du rédacteur: Sophie Royer
    Sophie Royer
  • 21 févr. 2022
  • 4 min de lecture

Nous avancions péniblement depuis de longues heures dans les couloirs étroits et sombres du sanctuaire. Située à proximité du village de Sipan sur la côte nord du Pérou, la pyramide de la Huaca Rajada se dressait, fière au milieu de la jungle, tel un joyau de l'art primitif dans son écrin de Jade. Nous avions préparé l'expédition depuis des mois, travaillant nuit et jour, afin de décrypter le manuscrit laissé par le professeur Mac Kenny juste avant sa mystérieuse disparition. Malgré cela, nous nous étions tout de même égarés à plusieurs reprises dans les boyaux de pierre de l'édifice sacré, véritable dédale intemporel, à l'air vicié. Épuisé et assoiffé, un de mes porteurs commençait à perdre patience. J'estimais l'avoir grassement payé pour le job et ses petits grognements mécontents me laissaient indifférent. Ma tête me faisait mal suite à l'incident survenu dans la seconde chambre funéraire. En tombant, le morceau de roche m'avait coupé l'arrière du crâne me blessant aussi la nuque, et j'avais à présent une belle entaille rouge ; je sentais mes cheveux poisseux de sang collés à mon cou. Mais peu m'importait. Nous n'étions plus très loin. Je le savais. Mon intuition était la bonne comme d'habitude. Moi, Sir Richmond, l'un des plus grand pilleur de tombeaux du XX ème siècle, j'allais encore une fois devancer les plus grands archéologues. J'allais mettre la main sur le plus extraordinaire trésor de la culture Mochica : le trésor royal du seigneur Sipan. Pour une fin de carrière, je finirais en beauté. Non pas que j'atteignais l'âge de la retraite puisque je n'avais que quarante trois ans, mais j'estimais avoir suffisamment travaillé. Il était temps pour moi de prendre du repos et ce dernier magot m’assurerait un paisible congé avec chauffeur élégant, piscine à remous, pin-ups consentantes et bulles de champagne. J'étais dans ces pensées d'avenir heureux et je m'imaginais, sirotant une coupe de Perrier Joët entouré de deux bombes peroxydées… quand soudain toutes nos torches électriques s'éteignirent. Les deux porteurs cessèrent aussitôt leurs murmures. Impossible de rallumer les lampes, plus aucune ne fonctionnait. Nous étions dans l'obscurité totale. C'est alors qu'un souffle rauque parvint jusqu'à nous. Un frisson me parcourut l'échine. Le bruit était semblable à un cri étouffé, une respiration rugueuse. Je restai immobile, silencieux, à l'affût. Le son provenait de derrière, comme si quelqu'un ou quelque chose arpentait le même couloir à quelques dizaines de mètres de nous. Le sang battait dans mes tempes. La douleur de ma blessure irradiait mes épaules. Deuxième souffle rauque. Plus proche cette fois-ci. Je sortis de ma besace mon vieil ami : mon Beretta. Je fouillai dans la poche de ma veste, allumai un briquet tempête, en donnai deux autres aux porteurs et leur fis signe de presser le pas. A quelques mètres de là nous tombâmes sur une intersection, et grâce aux précieuses indications du professeur nous prîmes le tunnel de droite. Le bruit rauque semblait avoir cessé. Cependant je restais sur mes gardes. Un animal sauvage avait très bien pu se glisser dans le temple. Après un long moment à tâtonner avec nos briquets nous arrivâmes enfin devant l'immense porte sculptée dans la pierre. Creusée en son milieu, une ellipse était décorée de dix petites têtes de singes aux regards machiavéliques. Je tournai très précisément les dix petits faces simiesques et hideuses et déclenchai ainsi l'ouverture du portail. L'imposante et lourde cloison minérale s'ébranla. Le sourire aux lèvres, je la découvris enfin : la troisième chambre funéraire ; rotonde lumineuse, antre magnifique, éclairée en son centre par un puits traversé par les rayons du Dieu Soleil. Au milieu de la pièce blanche et circulaire, trônait, impressionnant de majesté, le tombeau du roi. De chaque côté quatre autres sépultures aux allures plus modestes le veillaient. Lorsqu'un seigneur perdait la vie, les membres les plus éminents de sa Cour se devaient de l'accompagner sur l'autre rive afin qu'il ne voyageât pas seul; triste sort pour les fidèles du royaume. Ce que mes yeux virent ce jour-là fut le plus incroyable des spectacles. Tout autour, l'éblouissement. Tout autour, l'éclat. Tout autour, la puissance. J'étais le témoin chanceux d'une représentation unique donnée dans un théâtre éphémère. Mes pupilles dévoraient l'instant, mon cœur explosait dans ma poitrine, ma nuque ne souffrait plus. Plus aucune douleur ne pouvait m'atteindre, plus aucune peur ne pouvait me nuire. Tout mon être était pétrifié devant tant de beauté. Les murs de la vaste salle étaient recouverts de peintures anciennes et percés de niches de toutes tailles. Dans chacune d'elle sommeillait un objet précieux : ici un somptueux vase-portrait en céramique rouge ; là une délicate jarre ornée d'un voile d'or ; à gauche, un noble masque en bronze aux joues incrustées de Saphirs ; plus haut à droite, un imposant collier en or ciselé de fines araignées aux visages humains… Une centaine d'objets cérémoniels spectaculaires reposaient ici depuis des siècles, héritage magnétique, mémoire d'un peuple sacrifié, et j'en étais le découvreur. Ma fortune était faite.

Brusquement la porte de ma chambre s'ouvrit en grand. Ma mère, coiffure douteuse et cigarette au bec, déboula dans la pièce. Dans un souffle rauque, elle me cria dessus: « Sam, ça fait deux fois que j't'appelle ! qu'est-ce que tu fous ? Tu viens manger. J'ai fait des carbos. C'est prêt !» puis elle repartit en rouspétant entre ses dents. Je retirai aussitôt mon casque. J'avais mal aux cervicales à force de rester des heures devant ma console. Mais j'étais satisfait car j'étais enfin parvenu au troisième niveau. Je devais bientôt tomber sur la momie tueuse. C'était du tout cuit. Dans mon inventaire je n'avais plus de briquets, mais il me restait deux explosifs et une fiole de survie. Je la zigouillerais direct. Moi, Sam Garnier, l'un des plus grands gamers du XXI siècle, j'allais dans la cuisine manger des carbonaras.


Leblogasof-Mars 2021


 
 
 

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