MA PLAY LISTE
- Sophie Royer
- 21 févr. 2022
- 4 min de lecture
J’aimais bien avoir les cheveux courts et porter des sweat-shirts longs.
Mes jeans étaient de neige et mes baskets à scratch.
J’aimais bien mon chien, ma rue, mon vélo, l’épicerie, la boulangerie, la papeterie, le fleuriste, le boucher, le carrossier.
J’aimais mes copains, et nos blagues au téléphone, le Socotel SG 63 gris avec le fil en tortillon. J’aimais bien sentir sous mes pieds, le carrelage beige de ma classe, le bitume noir de ma cour, la moquette bleue de ma chambre.
J’aimais bien voir au-dessus de ma tête, les dalles polystyrène de ma classe, le ciel cotonneux de ma cour, le plafond en plâtre de ma chambre.
Tout au bout de ma rue, les trains étaient de marchandises, tout au bout de l’avenue, le circuit durait 24 heures. Mon père posait des ardoises sur les toits des maisons. Ma mère, des bigoudis sur les têtes des mamies.
Chez mes grands-parents, on déjeunait à midi, pas avant, pas après. A midi. Chez mes grands-parents, le pain était mou, les pâtes étaient au beurre et le beurre était aux pâtes. Chez mes grands-parents, j’aimais le loto, les dominos, le Cluedo, l’odeur du café et du pain mou grillé au petit matin. Et puis les dimanches avec Jacques Martin.
Pyrénéens, yucca, pot-au-feu, toile cirée.
J’aimais bien regarder la télévision, les génériques, dynamiques, éclectiques, les émissions et les feuilletons trop longs. J’aimais les lumières des Champs Elysées, les lumières des dessins animés, le temps qui était X, les dames qui étaient drôles, le tigre et ses brigades, la maison dans la prairie. Et puis les mercredis après-midis avec Dorothée.
Petits pois, chaussettes, valise, rouge et jaune.
J’aimais bien les films, les cassettes, les vidéos, le magnétoscope, la bande qui rembobine. Avance, Play, retour rapide. Tu fais pause. Stop. Ejecte.
J’aimais bien les comédies, les policiers, l’espionnage, les westerns, les péplums, la science fiction. Un corniaud dans une Cadillac, la peur sur la ville, le cigarillo de Clint, Charlton et sa planètes des singes. Et puis les mardis soir avec Eddy Mitchell.
Séance, rouge, Jean Mineur, dernière.
J’aimais l’odeur des magazines, le goût des timbres et des enveloppes, Pif Gadget et Mickey Parade. Mes albums Panini n’étaient jamais finis. Ma bibliothèque était rose, verte, jaune, bleue, rouge, multicolore. Si Alice s’additionnait au Club des Cinq, et qu’ils s’ajoutaient aux Six compagnons, ils étaient douze à enquêter. Dommage avec moi ça faisait treize, alors je les attendais à la maison.
A mes poignets les bracelets étaient brésiliens. A mes oreilles les boucles étaient créoles. Sur mon blouson : mes badges, sur mes badges : mes idoles, sur mes idoles : un trait de eye-liner. J’aimais chanter, danser, sauter, les boums, les slows, le Pogo. Je walk-ais, man.
J’aimais le rock, la pop, le hip et le hop.
Et surtout j’aimais pas mes cours de piano.
J’aimais par dessus tout, les vacances à la mer. En short, bronzée, du matin jusqu’au soir. J’aimais le sel, l’eau, le sable, les dunes, les rochers. Et les rochers aimaient mes genoux. J’aimais les crêpes, les glaces, la pétanque, les tongs, les menthes à l’eau et mes cousins. Au terrain vague, entre copains, on s’amusait à creuser des galeries dans la terre. On y trouvait des crottes de lapin toutes sèches et on faisait des batailles. J’aimais grimper aux arbres en tongs. Alors forcément les arbres aimaient mes cuisses.
Parfum des dunes : Immortelles. Panicaut. Pavot cornu. Pins sylvestre. Bleu du Ciel : Mouettes. Sternes. Gravelots. Goélands. Nuages au-dessus de ma tête. Fil de nylon. Cerf-volant. Légère comme l’écume. Le vent m’emporte dans sa danse. Je tourne, je tourne, je tourne, et je tombe en riant. Je suis à terre : j’ouvre les yeux, m…. j’ai quarante cinq ans.
Rose, vert, jaune, bleu, rouge. Multicolore. Le sable se dérobe sous mes fesses. La terre se creuse. Je glisse, Alice. La chute est rude. Eddy m’avait pourtant prévenu : le rideau sur l’écran est tombé. Mickey ne parade plus. Le poing levé, il manifeste tout nu dans la rue. Le nouveau propriétaire de la maison de mes grands-parents déjeune à treize heures. Pas avant, pas après. A Treize heures. Quelle horreur !!
Jacques Martin s’est enfui sous vos applaudissements. Il a volé le pain mou : « Voleur de pain, Martin !!! Reviens !! » Fini les Dimanches en toile cirée.
Les corniauds, terrorisés par les roues libres des vélos, crient au scandale dans leurs voitures blindées. Les têtes des mamies en forme de maison s’envolent au dessus du circuit, lourdes montgolfières aux sourires figés par leurs dents d’ardoise.
Dorothée, retraitée, complètement paumée, en désintoxe de dessins animés. De tortillon il ne reste plus que la queue des cochons. Plus de fil autour de mes doigts. Le téléphone est devenu transportable et on en change comme de chaussettes.
Vidéos. Cassettes. Génériques. Pathétiques. Antiques bobines de bande magnétique. Brisées. Dépassées. Passons au double clic.
Adieu blouson, baskets. idoles. Adieu ourson, pastèques, vache-qui-rigole.
« Et les singes de Charlton ? » me direz-vous. « Où sont-ils ? Que sont-ils devenus ? Viendront-ils pour l’heure du thé ? » « Impossible ! » vous répondrai-je ! « Ils sont trop occupés ! Ils se font massacrer pour de la pâte à tartiner… ! »
Ma mère a soixante seize ans. Elle tricote sans bigoudis en regardant Nagui. Elle mange des pâtes sans gluten et du beurre sans beurre. Mon père a loupé la marche de ses cinquante ans.
Il me manque terriblement.
Heureusement que les pins Sylvestre facétieux commencent à pousser à travers les trottoirs. Prisonniers depuis trop longtemps, ils provoquent les passants, en dévoilant leurs racines nues… Et ce manque de pudeur les fait rire. Leur gloussement de végétaux me donnent de l’espoir. Parfois les jours de pluie, je joue au loto, aux dominos, au Cluedo en regardant la mer. Elle est toujours aussi belle, habillée de son sel, son sable, ses dunes et ses rochers.
Et ses rochers aiment toujours mes genoux.
Et moi, j’aime ma fille.
Et ma fille aime ses cours de piano.
Leblogasof-Février 2021
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