MONSIEUR X
- Sophie Royer
- 21 févr. 2022
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 5 mai 2023
Lettre déposée dans la boite aux lettres n°11.
Dimanche 18 Décembre,
Chère demoiselle, un conseil : vous devriez arrêter de pleurer. Cela ne vous va pas. Aujourd’hui, alors que je nettoyais mes vitres, je vous ai aperçu, mouchoir à la main, dans la cour de l’immeuble. Je vous le dis : ce jeune homme que vous semblez regretter, est un lâche. Je suis en peine d’avoir été le témoin de votre dispute, l’autre jour, dans le hall. Cet énergumène est loin de vous mériter. Ça crève les yeux. On ne quitte pas une demoiselle de cette façon, en plein courant d’air, entre deux portes battantes. Reprenez courage. La vie saura punir cet abruti arrogant. Bon noël à vous !
Monsieur X, un voisin dévoué.
Lettre déposée dans la boite aux lettres n° 18.
Lundi 19 Décembre,
Chers guitaristes, hier soir, mes oreilles ont encore subi vos envolées musicales. Quelle énergie ! On voit que vous ne travaillez pas, pour être en forme comme ça ! Mais par pitié, pour le respect de tous : jouez moins fort ou ne jouez plus. J’ai bien lu votre mot, qui prévenait de votre fête, mais sachez qu’à 21h, les gens qui exercent un métier, ont besoin de dormir. Tout le monde ne peut pas vivre, comme vous, d’eau fraîche et d’allocations chômage. Merci de nous épargner vos délires d’assistés.
Monsieur X, un voisin énervé.
Lettre déposée dans la boite aux lettres n° 7.
Mardi 20 décembre,
Cher monsieur, votre port de tête et votre costume impeccablement repassé me fascinent. J’admire la façon dont vous bougez avec, aux pieds, de si petits souliers. Ceux-ci me paraissent franchement inadaptés à votre morphologie, alors je vous dis : bravo ! Mais permettez-moi d’aller plus loin au sujet de votre passage quotidien dans le hall. J’avoue ne pas comprendre votre négligence. Tous les jours, je vous vois avaler votre déjeuner à la va-vite, devant l’immeuble. D’une part, il serait bon pour votre transit, de vous poser à table pour prendre vos repas, d’autre part, un jambon-beurre chaque midi, ne me paraît pas suffisant pour un gaillard comme vous. Peut-être devriez-vous envisager d’y ajouter une entrée ou un dessert ? Qui plus est, faits maison ? Je vous laisse le soin d’y réfléchir. Quoiqu’il en soit, j’imagine que, comme la plupart des gens, vous allez vous rattraper au repas de Noël ! Alors, profitez.
Monsieur X, un voisin attentif.
Lettre déposé dans la boite aux lettres n° 15.
Mercredi 21 Décembre,
Toi, le petit morveux qui te rend à ton cours de musique tous les mercredis. Le fait que tu portes un violon sur ton dos n’excuse en rien ton comportement. Bouffeur de sucre ! Suceur de glucose ! Que tu engloutisses toutes ces cochonneries, c’est ton problème. Prépare-toi à ta future vie d’aveugle diabétique. Toutefois que tu laisses traîner tes emballages partout dans le hall, c’est celui de la planète! et aussi celui des voisins ! Nous ramassons derrière toi ! Alors je te préviens, si tu continues, je te fais bouffer ton violon ! Pollueur !
Monsieur X, un voisin en colère.
Lettre déposée dans la boite aux lettres n° 19.
Jeudi 22 Décembre,
Ma petite coquine, tous les matins, à six heures, je t’observe. D’abord, je découvre tes escarpins rouges descendre les escaliers, puis j’aperçois ta jupe à fleurs, élégante, et ta veste noire, cintrée sur les hanches, qui te donne une allure folle ; toutes les fins de journée, je te guette. Ton visage est lumineux, malgré la grisaille des lieux, tes yeux sont sombres, en amande, deux points perçants sous les néons blafards. Parfois ta main frôle le mur en béton, et alors, je rêve d’être un parpaing. Je brûle de désir, mais tu ne t’en doutes pas. C’est cela qui excite mes sens. Le fait que tu avances vers moi sans savoir.
Monsieur X, un voisin amoureux.
Lettre déposée dans la boite aux lettres n° 18.
Vendredi 23 Décembre,
Aux trois cons de musiciens, votre « bamboche » d’hier a encore dérangé bon nombre de voisins. Mais nous n’allons pas nous laisser faire ! J’ai décidé de parler au nom de tous, car moi, je n’ai pas peur de vous ! J’avais déjà l’humeur maussade à cause d’un sale gamin qui pollue l’immeuble, et vos grattages de cordes intempestifs à la Gipsy Kings n’ont fait qu’aggraver les choses ! Je pensais pourtant avoir été clair : vos fêtes répétées nuisent au voisinage. Si ça continue, j’imagine que pour le réveillon, on va avoir droit à la totale ! Djobi ! Djoba ! Manque plus que les castagnettes, et la résidence est un camp de manouches ! Monsieur X, un voisin furieux.
Lettre déposée dans la boite aux lettres n° 2.
Samedi 24 Décembre,
Cher monsieur Gautier, inutile de persister à vous cacher derrière ce monsieur X. La plupart des voisins savent depuis longtemps, que c’est vous qui écrivez les lettres. Car voyez-vous, nous aussi, nous vous observons, tous les jours; la mine grise, tirant de plus en plus péniblement votre chariot à courses le long du mur de l’immeuble, afin de vous rendre à la supérette. Nous vous observons. Frottant vos vitres le dimanche. Balayant le couloir chaque fin de journée. Et les mercredis, à l’affût du moindre papier de bonbon qui traîne. Vos gestes sont soignés, répétés, familiers. Vos sourires fabriqués. Monsieur Gautier, nous avons compris ce qui n’allait pas. Si vous briquez vos fenêtres le dimanche, ce n’est pas parce qu’elles sont sales, c’est pour profiter de la joie des gamins qui jouent au foot dans la cour de l’immeuble, si vous balayez le couloir vers 17h, ce n’est pas parce qu’il est poussiéreux, c’est pour happer l’attention des résidents qui rentrent du travail, et sourire aux belles voisines, si vous scrutez le moindre déchet laissé par un gosse dans le hall, ce n’est pas par souci écologique, c’est pour écouter Jules répéter son morceau de violon, en face, devant l’arrêt de bus. Depuis le décès de votre épouse, vous devez vous sentir bien seul, monsieur Gautier.
Alors, que diriez-vous, de venir réveillonner ce soir, à la table de la coquine qui se doute de rien, du monsieur qui néglige son transit, et des trois cons de guitaristes ?
Joyeux Noël monsieur Gautier.
Leblogasof-Septembre 2021
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